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Résumé :

Dans le cadre d’une promesse synallagmatique de vente d’une maison d’habitation, l’agent immobilier devant s’assurer que toutes les conditions nécessaires à l’efficacité de la convention négociée par son intermédiaire sont réunies, engage sa responsabilité à l’égard de l’acquéreur, dès lors qu’il s’est abstenu de se faire communiquer par les vendeurs leur titre de propriété avant la signature de la promesse synallagmatique de vente.

La sévérité de la cour de cassation envers les agents immobiliers

Cass. 1ère civ., 14 novembre 2019, n° 18-21971 (…)

Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 26 juin 2018), que, par acte sous seing privé conclu le 29 juin 2013 avec le concours de la société Secofi (l’agent immobilier), M. W… et Mme U… (les vendeurs) ont conclu une promesse synallagmatique de vente de leur maison d’habitation au profit de M. F… et de Mme S… (les acquéreurs), sous la condition suspensive d’obtention d’un prêt ; que ces derniers ont versé un acompte de 10 000 euros entre les mains de l’agent immobilier ; qu’ils ont refusé de réitérer la vente par acte authentique, le 16 septembre 2013, au motif qu’une information substantielle, à savoir la réalisation de travaux liés à la présence de mérule, n’avait été portée à leur connaissance que le 12 septembre 2013 par la lecture du projet d’acte, soit après l’expiration du délai de rétractation ; qu’ils ont assigné les vendeurs et l’agent immobilier en annulation ou résolution de la promesse de vente et restitution de l’acompte versé, et en responsabilité de l’agent immobilier et indemnisation ;

Attendu que l’agent immobilier fait grief à l’arrêt de le condamner à payer aux acquéreurs une certaine somme en réparation de leur préjudice, alors, selon le moyen :

1°/ que l’agent immobilier n’a pas à procéder à des investigations supplémentaires relatives à la présence de champignons ou mérules lorsqu’il est en possession d’un diagnostic, portant sur ce point, établi par un professionnel, auquel il est fondé à se fier en l’absence d’indices lui permettant de suspecter le caractère erroné ; qu’en jugeant que l’agent immobilier avait commis une faute en ne vérifiant pas, en consultant l’acte de vente antérieur, si l’immeuble vendu avait fait l’objet d’une ancienne attaque de mérule, bien qu’elle ait relevé qu’elle était en possession d’un diagnostic qu’il avait exclu la présence de mérule dans l’immeuble en cause, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil, devenu 1240 du code civil ;

2°/ que l’acquéreur qui recherche une qualité spécifique du bien doit en informer les parties et l’agent chargé de concourir à la réalisation de l’opération ; qu’en jugeant que l’agent immobilier avait commis une faute en ne se livrant pas à des investigations supplémentaires destinées à vérifier l’absence de toute infestation par le mérule, quand elle constatait que les acquéreurs n’avaient pas informé l’agent immobilier avant la vente de leur volonté d’acquérir un immeuble n’ayant jamais fait l’objet d’une attaque de mérule, même ancienne, et totalement éradiquée, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil, devenu 1240 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant exactement énoncé qu’il appartenait à l’agent immobilier de s’assurer que se trouvaient réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité de la convention négociée par son intermédiaire et, à cette fin, de se faire communiquer par les vendeurs leur titre de propriété avant la signature de la promesse de vente, lequel lui aurait permis d’informer les acquéreurs de l’existence de travaux précédents ayant traité la présence de mérule, la cour d’appel en a justement déduit que l’agent immobilier avait commis une faute en s’en étant abstenu ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

(…) La jurisprudence retient depuis longtemps une obligation de renseignement à l’égard de l’agent immobilier. Celle-ci consiste à fournir aux parties des informations objectives leur permettant d’opérer un choix éclairé.

De cette obligation de renseignement découle un devoir de conseil de l’agent immobilier qui doit attirer l’attention des parties sur les avantages et inconvénients de l’opération envisagée et leur indiquer le choix le plus opportun.

Le 14 novembre 2019, la Haute juridiction a une nouvelle fois consacré ces deux obligations, en jugeant « qu’il appartenait à l’agent immobilier de s’assurer que se trouvaient réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité de la convention négociée par son intermédiaire et, à cette fin, de se faire communiquer par les vendeurs leur titre de propriété avant la signature de la promesse de vente, lequel lui aurait permis d’informer les acquéreurs de l’existence de travaux précédents ayant traité la présence de mérule ». Les faits de cette espèce permettent d’illustrer la sévérité de cette décision.

Un agent immobilier avait conclu un mandat pour la vente d’un bien immobilier. Une promesse synallagmatique de vente a été signée par l’entremise de celui-ci avec paiement d’un acompte de 10.000 euros. Les acquéreurs ont par la suite refusé de réitérer la vente par acte authentique au motif qu’ils n’avaient pas été informés d’une attaque antérieure de mérule. Le titre de propriété des vendeurs retranscrivait en effet un constat d’état parasitaire mentionnant l’existence de zones d’humidité élevée au rez-de-chaussée et au premier étage du bien immobilier, propices au développement de champignons, ainsi que l’installation de champignons lignivores de type mérule dans la cuisine. Il rapportait également les déclarations des vendeurs selon lesquelles des travaux de traitement de mérule se trouvant dans la cuisine avaient été réalisés. Ils exposent alors « que la connaissance d’une attaque antérieure de mérule était un élément déterminant de leur consentement à l’achat de la maison, et qu’il est certain qu’informés, ils n’auraient pas contracté, et n’auraient ainsi pas perdu le dépôt de garantie », et ce même si les travaux de traitement des mérules avaient été réalisés.

Compte tenu de ces éléments, la Cour de cassation a retenu la responsabilité de l’agent immobilier, en considérant que :

– L’agent immobilier aurait dû vérifier les informations retranscrites dans le titre de propriété de son mandant, et notamment ses annexes ;

– L’existence d’une attaque antérieure de mérule, même si celle-ci avait été traitée, était un élément déterminant du consentement des acquéreurs ;

– Les obligations de vigilance et de conseil de l’agent immobilier bénéficiaient aussi bien aux acquéreurs qu’aux vendeurs même si le mandat de l’agent immobilier avait été conclu avec une seule de ces parties.

Cette solution offre un nombre important de possibilités d’engager la responsabilité de l’agent immobilier, qui, à la lecture de cet arrêt, serait contraint d’examiner l’ensemble des éléments sur le bien immobilier (diagnostics, titre de propriété, servitudes…), et d’en informer les tiers.

En pratique, il apparaît assez peu probable que l’agent immobilier analyse l’ensemble des documents qui sont relatifs au bien immobilier, et notamment les diagnostics annexés au titre de propriété des vendeurs. Lors de l’introduction de cette instance, les acquéreurs avaient pourtant intenté leur action autant à l’encontre des vendeurs, en annulation ou résolution de la promesse de vente et restitution de l’acompte versé, que de l’agent immobilier au titre de sa responsabilité. La Cour d’appel a néanmoins estimé que la nullité de la promesse ne pouvait être retenue pour une réticence dolosive des vendeurs. Si cette juridiction a considéré que l’existence d’une attaque antérieure de mérule, bien qu’elle avait été traitée, était un élément essentiel du consentement des acquéreurs, elle aurait vraisemblablement dû retenir la réticence dolosive des vendeurs qui en avaient nécessairement connaissance. La Cour d’appel a préféré retenir la responsabilité de l’agent immobilier au titre de son obligation d’information, se rattachant à l’obligation de renseignement. Cette différence de traitement illustre ainsi la sévérité de la Cour de cassation à l’encontre de l’agent immobilier.

 

Informations complémentaires

Article disponible également à l’adresse suivante : http://www.revue-libre-de-droit.fr

Comment citer cet article :

T. MLICZAK : « La sévérité de la Cour de cassation envers les agents immobiliers », Revue libre de Droit, 2019, pp. 68-72.

Cet article a été rédigé par Thomas Mliczak, Avocat Associé du cabinet TMH Avocats.