La sécurité offerte par l’affectation du patrimoine de l’entrepreneur individuel fragilisée par l’ouverture d’une procédure collective
(CASS, COM, 6 MARS 2019, N°17-26.605)
La loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 sécurise l’exercice d’une activité par un entrepreneur individuel, en lui offrant la possibilité d’affecter « à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale » (article L.526-6 du code de commerce).
Le droit des procédures collectives tient compte de ce statut particulier puisque l’article L.680-3 du code de commerce prévoit l’application de ces dispositions au seul patrimoine affecté à l’activité en difficulté.
Ainsi, les exceptions à l’unicité du patrimoine ne concernent que la fraude de l’entrepreneur, le non-respect des obligations comptables, le manquement grave aux règles de composition du patrimoine affecté, la renonciation volontaire à ce statut et le décès de l’entrepreneur (articles L.526-12 et L.526-15 du code de commerce).
Néanmoins, la Cour de cassation dans un arrêt du 6 mars 2019 semble mettre en exergue une nouvelle exception, en jugeant que l’entrepreneur qui a affecté une partie de son patrimoine à son activité professionnelle doit mentionner expressément dans sa déclaration de cessation des paiements qu’il est soumis à ce dispositif, sous peine, pour ses créanciers personnels de pouvoir déclarer au passif de la procédure collective leur créance.
Ainsi, en l’absence de précision lors de l’ouverture de la procédure collective sur la qualité du débiteur, la procédure produira ses effets sur l’ensemble du patrimoine du débiteur, en dépit de l’affectation par celui-ci d’une partie de ses biens à son activité professionnelle, en sa qualité d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
En l’espèce, un entrepreneur individuel, qui avait affecté une partie de son patrimoine à son activité professionnelle, a déposé une déclaration de cessation des paiements au Tribunal de commerce.
Le Tribunal a alors, par jugement du 13 avril 2015, ouvert à son égard et sans aucune précision sur le patrimoine de l’entrepreneur une procédure de redressement judiciaire, convertie quelques mois plus tard en liquidation judiciaire.
Une banque, ayant consenti un prêt pour l’acquisition de son logement, a déclaré à la suite de la publication du jugement d’ouverture sa créance au passif du débiteur.
La Cour d’appel de Bastia a alors jugé que cette créance, qui n’était manifestement pas relative à l’activité professionnelle du débiteur, ne pouvait être admise au passif du débiteur, dans ces termes :
« Il est établi et non discuté que la créance de l’appelante, relativement au prêt habitat n° 73007698334 consenti à titre privé ne constitue pas une créance professionnelle née à l’occasion de l’activité professionnelle à laquelle le paiement est affecté, puisqu’il s’agit du financement du logement du débiteur. Il en résulte que cette créance ne peut être admise au passif de Jean-François G., exerçant son activité sous le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée Corsa Lux, puisqu’il n’est pas, à titre personnel, éligible à la procédure collective commerciale ouverte pour ses dettes professionnelles, sauf confusion des patrimoines qui n’est, en l’espèce, ni justifiée ni même invoquée ».
Néanmoins, la Cour de cassation a cassé cet arrêt, et a considéré que l’absence de précision, tant dans la déclaration de cessation des paiements du débiteur que dans le jugement, de l’ouverture d’une procédure collective relative au seul patrimoine en difficulté de l’entrepreneur permet au créancier domestique de déclarer sa créance à la procédure collective du débiteur.
La Cour de cassation remet alors en question les effets de l’affectation et d’un mécanisme destiné à sécuriser les entrepreneurs exerçant à titre individuel : ce manquement est-il une nouvelle cause jurisprudentielle de réunion du patrimoine personnel et du patrimoine professionnel ?
Aucun texte propre à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ou aux procédures collectives ne prévoit de confusion des patrimoines en cas d’absence d’indication du patrimoine en état de cessation des paiements.
Cette règle ne pourrait en tout état de cause exister, dès lors qu’un entrepreneur n’est pas, à titre personnel, éligible à une procédure collective. En d’autres termes, la banque n’aurait généralement pu se prévaloir de sa créance que dans le cadre d’une éventuelle procédure de surendettement des particuliers visant le patrimoine personnel de celui-ci.
Toutefois, au regard de cette décision, la banque peut s’en tenir à « l’apparence » : la négligence du débiteur, du greffe et du Tribunal dans le respect du dispositif conduit à faire perdre le bénéfice de l’affectation patrimoniale opérée par l’entrepreneur individuel.
La solution assure par ailleurs une certaine sécurité juridique à l’égard des tiers. La constitution du patrimoine affecté leur est pourtant nécessairement opposable par la publicité d’une déclaration effectuée par l’entrepreneur, qui est condition de validité de l’affectation.
Cette solution est également conforme à l’autorité de la chose jugée du jugement d’ouverture de la procédure collective. La Cour de cassation semble avoir été tenue par la négligence du Tribunal de commerce.
Il importe donc aux entrepreneurs individuels d’être vigilants et de toujours faire suivre ou précéder leur nom des mots « Entrepreneur individuel à responsabilité limitée » ou des initiales « EIRL », et encore plus lors de la rédaction de la déclaration de cessation des paiements.
Cette brève ne constitue pas un avis ou une opinion juridique concernant des faits ou des circonstances précis. Elle a pour seul but d’apporter des informations générales
Cet article a été rédigé par Thomas Mliczak, Avocat Associé du cabinet TMH Avocats.